Depuis ma note de septembre dernier, les choses n’ont pas changé. L’immobilier reste le premier sujet de conversation des marrakchis, et le « mètre carré » leur obsession quotidienne.
Les prix continuent à suivre une courbe exponentielle et l’éclatement de la bulle, toujours prédit pour « demain », tarde à survenir.
Les logements ont atteint des tarifs affolants : dans l’Hivernage, le plus ancien (et toujours le plus couru ) quartier résidentiel de Marrakech, les appartements se négocient souvent à plus 20.000 dhs le M². Une somme exorbitante dans un pays où le salaire minimum culmine à 1800 dhs. Un appartement de 100m² vaut donc un siècle de SMIG.
Le centre-ville de Marrakech ne devient donc pas seulement inaccessibles aux classes les plus défavorisées mais aussi aux classes moyennes, voire classes moyennes supérieures.
Les prix des terrains ont progressé de façon encore plus impressionnante. Des hectares de terres arides situées à plusieurs dizaines de km de Marrakech, qui trouvaient difficilement preneur il y a 5 ans à 200.000 dhs, s’arrachent aujourd’hui à 2 ou 3 millions de dhs, et parfois à plus encore.
Cette flambée du foncier entraîne un phénomène nouveau : l’apparition d’une nouvelle catégorie de nouveaux riches. Des familles qui vivotaient dans une quasi-misère se retrouvent du jour au lendemain à la tête d’immenses fortunes potentielles.
Un ami m’a raconté dernièrement une histoire qui est arrivée à son propre frère. Ce dernier employait un gardien, issu de la région de Marrakech, dans sa villa de Casablanca. Le gardien retourne dans son village natal pour les fêtes de l’aïd. Plusieurs jours se passent dans qu’il ne donne signe de vie. Le frère l’appelle pour prendre de ses nouvelles. Le gardien raconte que son père était mort, qu’il lui avait laissé à lui et ses frères des terres qu’ils étaient entrain de vendre. « Dès qu’on signe l’acte de vente chez le notaire, je reprends mon poste. T’inquiète pas. Makayn mouchkil ».
Deux autres semaines se passent sans que le gardien ne regagne la jolie villa de Casa. Le propriétaire s’inquiète et appelle à nouveau. A l’autre bout du fil, il trouve son gardien hilare qui lui annonce : « On a vendu les terres de mon père et ça m’a rapporté 10.000.000 de dhs. On est entrain de vendre une autre terre. Si tout se passe bien, ma part va se monter à 30.000.000 de dhs. » Puis il ajoute, après quelques secondes de silence interloqué de son ancien patron : « dites-moi Monsieur, vous ne voulez pas venir me rejoindre ici pour développer et fructifier tout ça ? ». Pour la petite histoire, l’ancien patron ne s’est pas reconverti en intendant de son ancien gardien…
Cette anecdote n’est pas isolée. Des fortunes colossales se sont faites de cette façon, en un clin d’œil. Malheureusement, ces nouveaux riches n’ont pas toujours (doux euphémisme) l’esprit entreprenant et la créativité nécessaires pour transformer ce capital en investissements productifs.
Par manque d’imagination et surtout par peur de manquer après des années de vaches maigres, ces fortunes sont prudemment thésaurisées dans des comptes en banques dormants, ou, pire mais fréquent, stockés dans des sacs en plastiques noirs ensevelis sous des sacs de grains ou des montagnes de patates.
Bien planquées, elles continuent à alimenter les fantasmes d’enrichissement rapide, et entretiennent une vertigineuse folie immobilière.