La taniia est le plat emblématique de Marrakech. Il est à
Marrakech ce que la bouillabaisse est à Marseille (ou les moules-frites à
Lille) : plus qu’un plat, un état d’esprit.
La recette est très simple.
1 ere étape, réunir les ingrédients : de la viande
d'agneau, de l’ail, beaucoup de cumin, des pistils de safran, du citron confit,
du Ras el Hanout (un mélange d’une
vingtaine d’épices), du smen (beurre rance), de l’huile d’olive et, bien
évidemment, de l’eau.
2 ème étape, mélanger les ingrédients et les mettre dans une
« tanjia » (une petite jarre en terre cuite). Refermer la tanjia avec
du papier de cuisson. Percer des petits trous dans le papier.
Voilà, c’est tout pour la préparation. Temps nécessaire: 20 minutes (2h30 si c’est moi qui m’en occupe. Parce qu’il me
faudra 1h30 pour faire la différence entre le Ras el Hanout et la cardamone, et
une autre heure pour soigner mes coupures –découper la viande et percer des
trous dans le papier de cuisson sont des opérations hautement périlleuses qui
portent généralement atteinte à mon intégrité physique).
La cuisson est tout un poème. Il faut porter sa petite jarre
au « farnatchi » (le four à bois qui chauffe les hammams
traditionnels). Là, la Tanjia cuira pendant des heures sous la cendre. On peut utiliser
une cocotte minute si l’on est pressé (ou si l’on est fermé à toute forme de
poésie culinaire) mais la tanjia du hamam reste incomparable.
Il faut aussi savoir que la tradition marrakchie veut que la
tanjia soit exclusivement préparée par les hommes ! Et je m’en vais vous
narrer pourquoi :
Il était une fois à Marrakech, il y a bien longtemps, un
mari et sa femme qui passaient leur temps à se chamailler et à se traiter de
noms d’oiseaux. Un jour, au cours d’une ces disputes, la femme hurla à son mari : « tu
cries, tu cries, mais tu ne pourras jamais te passer de moi. Si je n’étais pas
là, tu ne pourras même pas te faire à manger ».
Le mari prit très mal cette attaque insidieuse. Il entreprit
alors de démontrer à sa femme qu’il ne mourrait pas de faim sans elle. Le
problème est qu’il ne connaissait rien à la cuisine. Il ne
découragea pas (l’honneur de tous les mâles de l’empire chérifien était en
jeu). Il prit tous les ingrédients qu’il trouva dans la cuisine (cf plus haut),
les mélangea dans une jarre et emmena cuire le tout au farnatchi (parce qu’il
était incapable d’utiliser le brasero ou le « canoun » (four traditionnel)).
La tanjia était née! Depuis ce jour, seuls les hommes de Marrakech préparent ce
plat, pour prouver à leurs femmes qu’ils pourraient se passer d’elles.
Certains marrakchis ajoutent de la noix de muscade à la tanjia. La noix de
muscade ayant un effet hallucinatoire à forte dose, je ne vous raconte pas les
« après-repas ». Dans un langage moderne, il s’agit de « space
tanjias ».
Les marrakchis sont très attachés à la tanjia. Ce n’est pas un
plat de fête, mais un plat d’amitié. Les artisans, les collègues de bureau ou
les étudiants cotisent régulièrement pour s’offrir une tanjia, qu’ils mangeront
de préférence à l’ombre des orangers dans un jardin de la ville.
C’est un plat qui ressemble
à la ville et ses habitants : à la fois roboratif et léger, épicé et doux,
rustique et raffiné. Comme la ville, c’est un plat qui prend tout son temps et
ne convient pas aux gens pressés